Récemment, une séance de dédicace s'est conclue par la mise en vente des dessins obtenus par un des gagnants du tirage au sort, sur Ebay. Parmi les auteurs concernés, Philippe Xavier d'abord, puis Philippe Delaby, sont montés au créneau pour clâmer leur énervement à l'égard de cette pratique. Rappelons qu'une séance de dédicace se fait le plus souvent sur le temps personnel de l'auteur, pendant le week-end, et qu'il le fait gratuitement, dans la recherche d'un échange avec le lecteur, d'une rencontre. Alors forcément, voir des personnes revendre ces cadeaux, voilà qui met en colère une bonne partie des auteurs de bande dessinée. Le site ActuaBD propose un point sur le problème, ainsi qu'une interview de Xavier et Delaby. Et la lecture de cette interview m'a donné envie de réagir.
D'abord, je me dois de rappeler que si je suis un grand amateur de dédicaces, je suis surtout un amateur des rencontres avec les auteurs. L'un et l'autre ensemble, voilà qui me plaît vraiment. Je
garde précieusement mes albums dédicacés, je vous fais partager mes impressions, mes cadeaux, en ce lieux, mais je m'arrête là. A titre personnel, je suis contre la revente de dédicaces, même
s'il y a des circonstances exceptionnelles qui peuvent mettre cette position au débat (vente après décès du fan, par exemple). Mais globalement, pour moi c'est non.
Autre position de principe, non, je ne suis pas satisfait des conditions de réalisation de ces dédicaces dans les salons. Mêmes si je ne fréquente plus beaucoup les festivals, cela n'a
globalement pas changé, et il y a une véritable réflexion à avoir sur la tenue de ces évènements, et sur la gestion des dédicaces, j'y reviendrais.
Le point principal qui m'a interpellé dans cette interview, concerne l'accord potentiel de Philippe Delaby au principe de dédicace payante, au motif que cela fonctionne parfaitement aux USA sans
poser débat. Tout me gêne, là dedans.
Aux USA, il y a une grosse différence avec l'Europe, c'est qu'il n'y a pas nécessité d'acheter un album pour obtenir une dédicace. En France, les auteurs rechignent grandement à dessiner dans les
livres d'or. L'achat de l'album est un incontournable. La dédicace est un cadeau aux ACHETEURS de l'album. Dans le monde du Comic book, ce n'est pas prévu ainsi. Lorsqu'un auteur américain vient
à Angoulême, il ne fait pas payer et dessine sur feuille blanche fournie par le visiteur présent en face de lui. Ainsi donc, de l'autre côté de l'Atlantique, la dédicace payante peut-elle trouver
une justification. Mais chez nous, le lecteur paye déjà son "droit d'entrée" avec l'album. Cela reviendrait à payer deux fois. Au delà de ces considérations, vouloir faire payer pour s'en prendre
aux spéculateurs est une erreur de jugement. Le spéculateur se moquera de payer. D'abord, cela créera de la rareté, et donc permettra de faire grimper ses tarifs, qui de doute façon, auront déjà
été accru du montant de la participation demandée. Les enchères monteront plus haut, la marge bénéficiaire du spéculateur restera inchangée, et l'effet recherché ne sera donc pas atteint. Par
contre, l'effet pervers de la proposition, lui, touchera de plein fouet le monde des passionnés de bande dessinée. Aller dans un festival coûte souvent cher. Déplacement, logement, nourriture, le
fan dépense beaucoup dans ces moments là, pour préparer les rencontres. Le fan qui ne spécule pas, doit donc à la fois se ménager un budget d'achat et un budget de festival. Si l'on se met à
faire payer les dédicaces, il y a de l'argent qui n'ira plus soit sur les festivals (qui perdront des visiteurs), soit sur les achats d'albums, dans une période où au contraire les auteurs
auraient besoin de plus de ventes. Ceux qu'on écartera des séances de dédicaces, ce sont les petits passionnés, ceux qui n'ont pas un budget illimité de collectionneur fou de passion. Bref, ceux
que les auteurs aimeraient voir plus devant leur table à dessin.
Alors, quelle est la bonne réponse à apporter? Serait-ce la dédicace payante directement mise en ligne par les auteurs? Il faudrait alors appeler ça différemment, car ce ne serait plus de la
dédicace. On pourrait nommer cela Commission. Ca fait de l'argent directement dans les poches de l'auteur, ça sécurise la transaction, puisque des fausses dédicaces fleurissent sur les
sites d'enchères, et ça devrait court-circuiter les revendeurs de dédicaces. Achète qui veut et qui peut, sans que le spéculateur ne lèse aucun fan réellement sincère. C'est sans doute une piste,
pour ce qui est de limiter la spéculation. Par contre, ça ne résoudra pas le fait que certains puissent vouloir revendre leurs dédicaces. Philippe Xavier propose de noter date et lieu de dédicace
sous le dessin, au stylo, mais je crains que ça ne soit que peu efficace, même en rajoutant le nom de famille de la personne. D'abord parce que le spéculateur peut mentir sur son nom, et ensuite
parce qu'il n'aura plus qu'à attendre un mois ou deux pour revendre. Je doute que les auteurs puissent se souvenir à ce point des fans passés les voir, ça ne sera qu'une gêne passagère pour celui
qui veut abuser. Par contre, le fait d'inscrire sous la dédicace qu'elle ne peut être vendue sans l'accord de l'auteur, est à mon avis à creuser. Je ne sais pas quelle légalité cela pourrait
garantir, mais il me semblerait qu'ainsi, il pourrait être plus facile de demander aux sites d'enchères de retirer les produits. Cela demanderait à toute la profession de s'adapter à cela, que
tous les auteurs (ou le plus grand nombre), acceptent de jouer ce jeu, pour permettre aux juristes de leur éditeur de mieux agir ensuite.
A mon sens, tout cela n'est pas encore très satisfaisant, et ne semble pas certain. Pour moi, il y a un autre problème à aborder, plus généraliste que la dédicace, c'est la "collectionnite". Là à
mon sens, se situe le véritable problème.
Les éditeurs, certains libraires, les auteurs, font le choix de proposer des versions luxe et prestiges de leurs albums. C'est une relative exception dans la culture. Je n'ai pas connaissance que
cela se fasse particulièrement dans le livre, c'est encore marginal dans le disque, mais plus présent dans le DVD. Quand vous proposez à un collectionneur quatre versions d'un même album, il va
les prendre. Qu'on ne vienne pas me parler de responsabilité individuelle, on serine au collectionneur en permanence que ce qui est rare est cher, et que posséder des choses rares et chères est
un signe de réussite. Donc, le collectionneur achète. Je pense par exemple à l'éditeur Soleil, sortant quatre versions différentes du Troll de Troy paru pendant les Jeux Olympiques de Pékin. La
version base, plus trois versions avec une médaille or, argent ou bronze. L'éditeur organise la "rareté", crée l'envie chez le collectionneur, qui lui donne ses sous. Tant mieux pour les
résultats financiers de l'éditeur, mais pour l'état d'esprit du monde de la bande dessinée, c'est à mon avis un poison. Car ensuite, ce collectionneur, il va se rendre en festival, en librairie.
Car quand on collectionne, comment passer à côté des dessins originaux offerts par les auteurs? J'ai vu, il y a quelques années, des visiteurs de festival, venir avec l'édition originale, le
tirage de tête, plus un autre tirage, d'un unique album. Ce n'est pas rare. Les collectionneurs voudront avoir tous leurs albums dédicacés, et donc passeront plusieurs fois (pas forcément le même
week-end) devant l'auteur, prenant en effet la place pour des amateurs potentiels, venus juste avec un album. Et ça, ce n'est que pour un album. Si l'auteur, ou l'éditeur, renouvellent
l'opération à plusieurs reprises, cela accroit encore le besoin pour le collectionneur de venir faire dédicacer.
S'il n'y avait qu'une seule version d'un album, ce phénomène de "collectionnite" se ferait nettement moins ressentir à mon avis. Le collectionneur répond aux besoins qu'on lui crée. On ne lui
propose jamais deux fois le même album, puisqu'une fois il a un tirage limité, une fois il a une couverture spéciale, ou une autre fois, un ex-libris, voir les trois à la fois. Un album, ça casse
le sentiment de besoin, et ça ouvrirait à mon sens les festivals aux non-collectionneurs. Mais demander à un service marketing de se taire, et de ne plus proposer ce genre de choses, c'est à mon
sens utopique. Et de toute façon, seuls les auteurs pourraient êtres en situation de tenter quelque chose à ce niveau.
La dédicace est décriée depuis plus de dix ans déjà. Espérons qu'à la suite de Xavier et Delaby, le monde de la bande dessinée prendra enfin les choses en main pour solutionner tout cela, sans
prendre le lecteur pour une vache à lait, sans faire payer à la masse des passionnés les actions malhonnêtes de quelques uns. Mesdames messieurs les auteurs, à vous de jouer.